(pour la petite histoire, j’ai commencé à écrire cette chronique il y a 2 semaines et le 26 octobre tombe un article sur nextimpact sur le sujet, j’en ai donc fait mon intro. Le hasard fait bien les choses, non?)
Comme vous ne l’avez probablement pas vu passer des sénateurs exigent le “ rapport sur l'obsolescence programmée, sa définition juridique et ses enjeux économiques” qui devait être remis en mars dernier, et qui n’a toujours pas été remis, après 7 mois de retard.
De même, cet été, la loi sur la croissance verte pénalise l’obsolescence programmée de 2 ans de prison et 300 000 d’amende ou 5% du chiffre d’affaire passé 300 000 euros de “bénéfice lié au manquement”. *source:http://www.nextinpact.com/news/97037-obsolescence-programmee-elus-denoncent-retard-gouvernement.htm *
Mais ces lois sont, à mon avis éclairé, non seulement parfaitement inapplicable mais aussi irréaliste. Tout n’est pas aussi simple que dans un reportage M6.
Souvent, dans ces reportages sur l’obsolescence programmé, on ressort le bon vieux coup de la machine à laver de mamie qui tourne depuis 30 ans et on accuse les concepteurs des objets modernes nous entourant de mettre des composants à durée de vie particulièrement courte (en général le temps de la garantie + une petite marge).
Or, étant dans un bureau d’étude et ayant été formé à la conception mécanique, je peux vous assurer que cela est en partie vrai, mais que les raisons ne sont pas forcément celles que vous soupçonnez. Et surtout qu’il est difficile de prouver que cela est fait dans le but de « réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement » (ce que stipule la loi de cette été)
J’annonce de suite que je ne parlerai pas des smartphones et autre trucs électroniques parce que le fait de sortir un nouveau produit, meilleur ou non, ne rend pas FORCEMENT le précédent obsolète.
Il s’agit ici souvent d’un simple effet de mode, une perversion de nos instincts à des fins mercantiles, et plus particulièrement de connerie humaine, et donc hors du cadre de cette chronique.
Mais parfois, il peut s’agir d’un standard qui évolue ou disparait, par exemple le HD-DVD, le laserdisc et le betamax dont les lecteurs peuvent encore fonctionner mais sont obsolètes car ils ne permettent plus l’usage pour lequel ils étaient destinés. Mais ce n’est pas non plus dans le cadre de cette chronique.
Mais quel est donc le cadre de cette chronique, professeur Phil, me demanderiez-vous à raison : Nous allons tenter de répondre à la question: “les concepteurs sont-il tous des fieffés salopards qui mettent des bombes à retardement dans nos appareils?”
Il me parait judicieux de savoir ce que signifie concrètement que de concevoir.
LA CONCEPTION
Concevoir un objet, ou autre chose, c’est avant tout répondre à un besoin.
Cela ne veut pas forcément dire que vous devez passer un diplôme quelconque et utiliser un logiciel 3D et que vous ferez des plans, avec des coupes et des vues de détail avec des cotes et des tolérances. Non.
Tous les jours, plusieurs fois par jour, vous concevez sans forcément le réaliser.
Ex:
Quand vous faites le repas, vous concevez un plat en fonction de :
Ce qu’il existe dans votre frigo, placard, ou à l’épicerie du coin
Du budget que vous souhaitez y mettre
Des limites de votre projet que vous décidez +/- arbitrairement.
Vous n’allez pas commencer à faire un tajin pour 120 personnes à 20h quand vous vivez seuls et devez vous lever à 5h du matin le lendemain. C’est trop en quantité, c’est trop long (ou démarré trop tard), vous n’avez pas forcément les ingrédients, et les grands magasins et l’épicerie du coin seront fermés.
Et franchement, vous n’aimez pas le sucré-salé et en plus c’est la fin du mois donc vous êtes déjà pas mal à découvert.
Du coup vous faites des pâtes pour la 3e fois cette semaine.
2) LES CONTRAINTES DE CONCEPTION
Essayons de décortiquer un peu cette situation :
Les limites du réalisables sont atteintes avec le manque d’ingrédients à disposition. Mais on voit qu’il y a d’autres facteurs limitants: des limites à priori arbitraires que vous imposez au projet.
Si vous aviez les ingrédients, vous pourriez en théorie le faire, mais vous ne l’auriez tout de même pas fait.
En réalité, ces limites ont un sens, dans le cadre de ce projet. Vous ne les imposez pas “au hasard”.
Elles sont directement liées à l’environnement entourant le projet sans être dans le projet lui-même. Vos goûts, un objectif de temps, de quantité et de prix.
3) LA CONTRAINTE DE BUDGET
Dans le milieu dans lequel je travaille, on ne regarde pas trop à la dépense, mais il y a toujours des compromis dues aux lois de la physique. Si une pièce est grosse, elle est plus résistante, mais elle est encombrante donc il faut trouver un bon équilibre entre taille et résistance mécanique, par exemple.
Je précise ceci pour vous dire que nous allons nous concentrer ici sur le prix, mais que bien évidemment ce n’est pas le seul facteur.
3-1) TD
Passons à une petite session Travaux dirigés avec un petit exercice mental (un truc simple), si vous prenez des notes c’est mieux, mais au minimum concentrez-vous :
Des clients souhaitent pouvoir soulever une charge de 100Kg
Vous devez concevoir un pack contenant un câble et une poulie et vous n’êtes pas fabriquants, ni de câble, ni de poulie.
En consultant les catalogues de fournisseurs, vous trouvez 2 câbles homologués 100Kg :
un câble normal à 1€
un câble à revêtement anti-usure à 2€
En consultant les autres catalogues de fournisseurs, vous trouvez 2 poulies homologuées 100Kg:
une poulie normale à 1€
une poulie à galets anti-usure de câble à 2€
Cela fait 4 combinaisons allant de 2€ à 4€.
Le département marketing a fait une étude de marché, étudié aussi les prix de la concurrence (10€) et, après avoir déduit les coûts prévu pour l’emballage, les marges distributeur et la livraison, votre budget conseillé est de 3€.
Quel choix faites-vous? (demander à l’équipe)
=> 3€ : votre produit, vendu 10€, comme les autres, a 2 ou 3 retour SAV… en même temps vous en avez vendu 1000 exemplaires. Pourquoi? parce que les clients ont acheté massivement le kit coutant 2€ à fabriquer ou un kit coutant 3€ d’une autre marque présente sur ce créneau avant vous et bénéficiant de retour d’expériences d’utilisateurs qui l’on conseillée à votre acheteur potentiel.
=> 4€ : Vous décidez de créer la Rolls des kits cables-poulie… Vous souhaitez n’avoir aucun retour SAV, et une durée de vie illimitée. Quitte à être plus chers que la concurrence, le département marketing a du augmenter encore plus le prix pour payer des campagnes marketing visant à améliorer l’image de marque ET AUSSI compenser le faible nombre d’achats par des marges plus conséquentes. Votre produit est ainsi vendu 100€ avec une garantie à vie.
Votre avenir est incertain… Pour certains cette stratégie a payé et sont cités en exemple (Rolls?) mais allez donc inspirer une image d’expérience de luxe avec une poulie et un câble… ça ne fait pas rêver… Bon courage !
=> 2€ : votre produit, vendu 6€50, est un succès commercial, vous écrasez la concurrence, en majorité plus chère … même si vous avez 1% de retour SAV d’utilisateurs trop réguliers de votre kit qui ont un soucis de câble usé prématurément, vous leur remplacez (ce qui vous coûte pas très cher au regard des volumes écoulés… et du prix initial du câble) et ils ne sont pas mécontents au final, et s’il ne rachèteront probablement pas un produit de votre marque, ils ne se plaignent pas ouvertement de la mauvaise qualité de votre produit.
Le problème : 2 mois plus tard, un kit tout fait apparaît au catalogue d’un fournisseur asiatico-est-européen (oui je fais dans le cliché). La qualité est TRES médiocre, le câble est indémontable de la poulie, donc quand un des deux composants s’use, les deux doivent être remplacés (et ça sera clairement le cas rapidement vu comment c’est de la merde). Mais le kit est distribué à 0.50€ donc vendable sous la barre des 5€. Il devient la nouvelle référence de prix pour les consommateurs et votre kit n’est plus le plus vendu.
4) LE BUDGET AVANT LA QUALITE (c’est différent que l'obsolescence programmée)
Appliquons maintenant ceci au monde de l’électro-ménager : Les clients achètent des appareils peu cher en priorité, ce qui fait que les coûts sont rognés partout où c’est possible, notamment la durée de vie moyenne des composants.
Et comme la précision de la durée de vie augmente avec le temps, la précision du moment de la panne tend de plus en plus vers J+1 après la fin de la garantie. Car tout fonctionnement après cette période est “non nécessaire” donc l’appareil est non optimisé.
Du point de vue de l’acheteur, c’est un prix qui aurait pu être plus bas, du point de vue de l’industriel, c’est une marge non perçue OU un tarif moins compétitif.
Donc OUI on pourrait donner à un certain nombre d’appareils une durée de vie quasi-illimitée en sur-dimensionnant tout. Mais ce serait plus encombrant et/ou moins performant, plus cher… et vous n’en voudriez pas.
Présenté comme cela, on pourrait croire que je rejette la faute uniquement sur les acheteurs qui, par leur attrait vers le bon marché, font entrer l’industrie dans un cercle vicieux où il y a d’un côté les produits de plus en plus bon marchés, devenus presque jetables et de l’autre des produits “haut de gamme” faits pour durer…
Ce n’est pas aussi caricatural :
Pour commencer, il y a des produits bon marchés, volontairement simples, qui durent plus longtemps que des produit hyper avancés et complexes, plus sujets à des pannes.
L’exemple parfait étant une machine à laver électromécanique (un minuteur type minuteur de cuisine active des contacts en tournant) contre une machine à laver bourrée d’électronique et de programmes.
Et puis les industriels ont bien évidemment leur part de responsabilité dans le lancement-même de cette guerre des prix…
Et bien entendu, il n’y a pas de fumée sans feu : Il existe au moins UN cas avéré.
On sait qu’il a existé une entente dans les années 20 (1920) entre les fabriquants d’ampoules pour limiter leurs durées de vie à 1000h alors que le double était largement atteignable. Pourquoi? Pour en vendre + évidemment !
5) COMMENT BIEN CONSOMMER ?
Du coup :
Est-ce vrai que les produits durent de moins en moins longtemps? En un sens oui, probablement. Mais c’est souvent parce qu’ils coûtent de moins en moins cher.
Est-ce que le prix élevé est synonyme de durée de vie longue ? Dois-je prendre de la marque ? Pas forcément…Des fois on paye la marque ou, pire, les frais de remplacement SAV.
Je suis d’accord que les pistes sont brouillées et qu’il n’est pas simple de s’y retrouver.
Ah et pour vous achever, sachez aussi que les questions de design impactent aussi la durée de vie et surtout la réparabilité. L’exemple parfait c’est le macbook, toujours plus fin dont les composants sont collés et la batterie inamovible sans démonter l’appareil. Mais les smartphones, quelle que soit la marque (et bizarrement Apple n’est pas le pire), plus ils sont fins, plus les pièces sont collées ensemble et plus la réparation sera chère et/ou difficile.
Dans tous les cas, à notre échelle d’individu, il existe déjà des règles simples que l’on peut appliquer :
Renseignez-vous un peu sur comment les produits sont fait. Combien coûtera la réparation de mon écran de smartphone? 50 ou 300€? Faites des devis en ligne ou allez voir des sites comme iFixit.
- Arrêtez d’acheter des merdes asiatiques sur ebay ou Amazon. C’est conçu et assemblé avec le cul, produit dans ces conditions atroces et vous savez pertinemment que cet accessoire à 1€ au lieu de 45€ ne tiendra que quelques mois avant de vous lâcher. (exception faite des truc hyper basiques, bien évidemment je ne vais pas vous dire d’acheter un câble Apple ou Belkin ou griffin quand il existe d’autres marques parfois meilleures, mais vous voyez l’idée)
- Arrêtez d’acheter l’aspirateur premier prix pour pouvoir, pour le même prix au total, vous payer en plus une machine à panini (premier prix aussi). PERSONNE NE LES UTILISE PLUS DE 3x. C’est chiant à laver ces putains de machines à panini, le fromage coule partout dans les interstices et comme c’est mal lavé et chiant à ravoir, on les laisse traîner dans le placard et on les jettera lors du prochain déménagement.
- Dans la même veine, “parce que c’était pas cher” n’est jamais une raison potable d’achat. C’est juste une autre façon de dire “je suis un gros pigeon”.
- Arrêtez de vous vanter d’avoir acheté un produit pas cher. Il n’y a aucun mérite. Vous n’avez pas “niqué le système”, vous l’avez juste alimenté comme un gros mouton. Vantez-vous éventuellement d’avoir trouvé le bon rapport qualité-prix, LE produit qui vous convient et qui vous conviendra longtemps.
L’avantage de l’époque dans laquelle nous vivons est que nous ne sommes pas seuls. Nous pouvons nous appuyer sur les avis des internautes ayant déjà acheté ce produit, même s’il existe de fausses reviews. “Nous affons les moyens de nous renseigner” Ce qui veut dire que nous pouvons éviter quelques écueils… Si nous ne sommes pas obnubilés par l’étiquette-prix ou le “boarf, ça ira bien, pour le prix”... Mais encore une fois, je ne traite pas ici de la connerie humaine.
L’autre avantage de notre époque, bien que bizarrement peu de personnes connaissent, c’est que désormais (pour les particuliers uniquement) les produits que vous achetez en Union Européenne sont garantis minimum 2 ans par le constructeur. Ce qui veut dire que les assurances de 3 ans à trouzmille euros de chez Carrefour, Darty, Conforama, Boulanger… et même Apple ont un peu moins d'intérêt… Et j’espère que cela forcera doucement les constructeurs à augmenter la durée de vie minimale au lieu de juste augmenter le prix pour subvenir aux coûts des retours SAV supplémentaires.
Et puis, tout simplement, essayez de réfléchir un peu avant d’acheter: En avez-vous juste envie ou vraiment besoin? Allez-vous l’utiliser régulièrement ou non? Vous êtes-vous renseignés un peu auprès d’autres clients sur internet? Si l’appareil tombe un jour en panne, est-il réparable ou faut-il le jeter en entier?
Et si possible laissez passer la nuit. Elle porte souvent conseil et ce produit que vous vouliez tant dans le magasin ne vous parait plus si essentiel maintenant qu’il faut refaire le trajet pour aller l’acheter. Même si c’est en ligne, la nuit porte quand même conseil… elle peut parfois carrément vous faire oublier que vous aviez envie de ce produit.
Ce n’est pas énorme en terme d’investissement personnel, mais il y au un triple avantage à prendre ce recul :
Vous dépenserez moins
Vous polluerez moins
Vous indiquerez aux industriels que ce qui nous plait, c’est un bon rapport qualité-prix et non le prix uniquement.
Rappelez-vous que le seul moyen efficace de voter, c’est avec son porte-monnaie.